C’est à Las Vegas que les candidats démocrates livrent leur premier débat. Clinton a montré par le passé être une débatteuse de qualité ; l’un de ses objectifs sera de créer davantage d’enthousiasme et de se réaffirmer comme la candidate incontestable de son camp. Pour Sanders, le but sera de gagner en visibilité nationale et accroître l’emballement autour de sa personne au-delà du cercle de ses partisans actuels. Quant à O’Malley, Webb et Chafee, leur défi sera d’exister et quitter les limbes sondagières où ils végètent.

 

Résumé

 

  • Les observateurs sont (quasi) unanimes : Clinton est la gagnante du débat. L’ex-Secrétaire d’État s’est bien sortie des sujets la mettant sur la sellette, a été chaleureuse voire drôle, s’est démarquée par sa maîtrise de tous les dossiers et s’est positionnée comme une libérale pragmatique. Quant à l’affaire des emails, elle a pu compter sur l’aide de Sanders, celui-ci refusant d’exploiter le scandale et affirmant que cela n’était pas une question importante pour le peuple américain.
  • Cette intervention de Sanders a été symptomatique de la différence d’ambiance avec les débats républicains : les démocrates ne sont pas dans une lutte à mort les uns envers les autres, leurs positions sont (relativement) peu éloignées, ou en tout cas ne se démarquent pas de manière aussi tranchées que dans le camp d’en face. A défaut de parfaite unité, c’est un sentiment d’union et d’approche constructive qui ressort des échanges.
  • Revers de la médaille (pour les amateurs de spectacle) : un débat moins haut en couleurs que ceux offerts par le GOP (Trump s’est fait un plaisir d’ironiser sur une soirée manquant de « stars »).
  • Passionné, Sanders est néanmoins apparu en deçà de Clinton, pour trois raisons : d’abord son style, monophasé, sur un ton énervé où pointent colère et irascibilité (ce à quoi il aurait beau jeu de répondre que les conditions de vie du peuple américain ont de quoi mettre en colère quiconque de sensé) ; ensuite, des positions peu claires et peu probantes sur le port d’armes ; enfin, les taquets discrets assénés par Clinton alors que lui refusait d’entrer de ce genre de jeux, ce qui est tout à son honneur mais le plaça parfois en position de faiblesse face à une adversaire dotée de ce qu’il faut de perfidie (ou de malice, comme on voudra) pour porter des coups l’air de rien.
  • O’Malley n’a pas inversé la tendance, il est resté en retrait des deux poids lourds. L’ex-maire de Baltimore et sénateur du Maryland a l’air bien, sérieux, compétent, mais ne se différencie pas de Clinton (qu’il a d’ailleurs soutenu en 2008, ce qu’elle ne manqua de rappeler).
  • Webb n’a pas toujours été intelligible, s’est chamaillé avec le présentateur au sujet du temps de parole, mais a aussi fait preuve de classe en refusant de réagir aux perches que tendait ce même présentateur pour l’inciter à dénigrer ses rivaux. Chafee a tenté de mordre Clinton mais a coulé à pic lorsqu’il a été interrogé sur sa versatilité à propos de Wall Street (cf. infra).
  • Bilan des courses : Clinton a confirmé son statut de favorite et Sanders celui de challenger (même s’il est apparu « léger » dans l’exercice du débat), tandis que O’Malley, Webb et Chafee devraient rester des figurants. Biden ? Son absence n’a été ni remarquée, ni évoquée.

 

 

Les thèmes abordés

 

1°) Les armes à feu

Gun

Remis sur le devant de la scène avec la récente tuerie dans l’Oregon, ce sujet est l’un de ceux où Sanders a été mis en difficulté en raison de ses votes passés contre les lois limitant le contrôle des armes. Le Sénateur du Vermont s’est défendu en mettant l’accent sur le problème des personnes suicidaires n’ayant pas accès aux soins adéquats et a également évoqué le cas de son État, un État rural où, dit-il, les règles sont différentes.

A la question de savoir si Sanders était suffisamment sévère en matière d’armes, Clinton a rétorqué « No, not at all », puis a livré une tirade passionnée en faveur du « background check » (« vérification des antécédents ») et accusé Sanders de vouloir donner l’immunité à l’industrie des armes.

Webb a également défendu l’idée du « background check » mais a aussi souligné qu’il fallait respecter les traditions de ce pays, ainsi que les gens qui veulent se protéger des agressions.

 

2°) Politique extérieure

  • Au tour de Clinton de se retrouver sur le gril. En cause : son vote en faveur de la guerre en Iraq en 2003. Chafee déclara que ce choix devrait la disqualifier de la course à la Maison Blanche et qu’il mettait en cause sa capacité de jugement. Clinton en appela à Obama (« [he] valued my judgement») et rappela qu’elle avait été l’un de ses rares conseillers au moment de l’élimination de Ben Laden.
  • Clinton toujours, interrogée sur les attentats de Benghazi en 2012 et leurs conséquences : « il n’y a pas un seul soldat américain en Libye » et « si vous croyez qu’on ne doit pas envoyer de diplomates dans des zones dangereuses … ». Elle ajouta par après (en rapport avec la Syrie, mais pas que) que le but de la diplomatie n’était pas d’aboutir à la meilleure solution mais de parvenir à équilibrer les risques.
  • Concernant la Syrie, Sanders a affirmé qu’il fallait tout faire pour que les Etats-Unis ne soient pas à nouveau impliqués dans un conflit tel celui en Iraq, lequel fut selon lui la pire décision de l’histoire américaine.
  • Lorsque le présentateur, rappelant qu’il avait voté contre la guerre en Iraq, contre la guerre du Golfe et contre l’intervention en Syrie, lui demanda dans quelles circonstances l’armée américaine devait intervenir, ce même Sanders signala qu’il avait voté pour l’intervention au Kosovo, en Afghanistan et la traque de Ben Laden, puis ajouta qu’il fallait agir quand les alliés des États-Unis étaient menacés, mais pas par une action unilatérale.
  • Sanders encore : « Poutine va regretter ce qu’il fait en Syrie, comme il regrette déjà ce qu’il a fait en Ukraine et en Crimée vu l’impact sur l’économie de son pays ».
  • O’Malley a insisté sur l’impérieuse nécessité d’améliorer la qualité des services de renseignements.
  • Interrogé pour savoir si Sanders ferait un bon commandant-en-chef sachant qu’il s’était déclaré objecteur de conscience dans les années 1960 pour ne pas aller au Vietnam, Webb (qui y a combattu et été décoré) répondit que, si Sanders avait respecté les procédures pour ne pas aller combattre, alors il respectait son choix et que, pour le reste, c’était au peuple de décider si cela était important au pas.
  • Plus tard viendra la question du Patriot Act. Clinton (qui avait voté pour) affirma ne pas regretter son choix et qu’une telle loi était nécessaire, mais que W. Bush avait été au-delà de ce qui était prévu. Sanders adopta une autre position, déclarant que, si élu, il supprimerait le système de surveillance de la NSA (« il faut se défendre sans empiéter sur nos droits constitutionnels »).
  • Clinton et O’Malley ont eu des mots durs à l’égard d’Edward Snowden (« he broke the law, he stole very important information » pour la première, « he put many lives at risk » pour le second). Sanders fut plus modéré (« he played an important role to explain the people our rights are touched ; he educated us, this should be taken into consideration ») et Webb ne répondit pas directement (« I leave it to the legal system »).
  • Tour de table : quel est le plus grand danger menaçant la sécurité nationale ? Chafee : le chaos au Moyen Orient. O’Malley : les armes nucléaires et le changement climatique. Clinton : les armes nucléaires. Sanders : le changement climatique. Webb : à court-terme le Moyen Orient, à long-terme les relations avec la Chine, au jour le jour le cyberterrorisme.

 

3°) Le socio-économique

  • Sur le racisme subi par la population noire : Sanders veut combattre le racisme institutionnel, réformer le système judiciaire et investir massivement dans l’éducation et la création d’emplois. Clinton se réfère à Obama (« il a été un grand leader moral », « il faut suivre les recommandations de la commission qu’il a créée ») et renchérit sur le besoin d’en finir avec l’incarcération de masse.
  • Sur Wall Street : Sanders s’en prend au casino capitaliste qui permet au Top 1% de s’accaparer la quasi-totalité des richesses (« Wall Street business model is fraud » et « Congress does not regulate Wall Street, Wall Street regulates Congress »). O’Malley veut une nouvelle loi Glass-Steagall pour contrebalancer son annulation par l’administration de … Bill Clinton. Sur la sellette, Hillary contre-attaque : le problème est plus vaste, il faut s’attaquer à l’ensemble du shadow money (l’argent occulte), son plan à elle est global et il enverra des patrons en prison.
  • Sur l’éducation : opposition entre Sanders qui veut rendre un système généralisé d’écoles publiques gratuites et Clinton qui préfère un système où les familles riches ne seraient pas exonérées. Clinton ajoute aussi trouver important que les étudiants aient un job d’une dizaine d’heures par semaine.
  • Sanders a répété à plusieurs reprises qu’il était inconcevable que les États-Unis soient la seule parmi les grandes nations à ne pas être dotée d’acquis sociaux tel le congé parental longue durée. Clinton a renchéri et, lorsque le présentateur lui a fait remarquer que Carly Fiorina affirmait que de telles mesures (sur le congé parental) affecteraient négativement les PME, l’ancienne Secrétaire d’État a rétorqué que la Californie avait déjà un congé payé de maternité en place, puis s’est livrée à une tirade véhémente contre les républicains (« Il y a moyen de créer des lois qui n’affecteront pas le business, il ne faut pas être paralysé par les républicains et ce qu’ils veulent imposer. »).
  • Immigration : à un journaliste hispanophone lui demandant pourquoi les électeurs latinos devraient lui faire confiance alors qu’il avait voté contre une réforme migratoire en 2007, Sanders répond que cette réforme ouvrait la porte à un semi-esclavagisme. Le débat glisse ensuite sur les droits que les migrants illégaux devraient être autorisés à recevoir en matière de soins de santé et d’éducation.
  • Défi climatique : il y a consensus sur la nécessité d’agir. Sanders souligna la nécessité de travailler avec l’Inde et la Chine, et Clinton en profita pour glisser que, lors de la conférence climatique de Copenhague en 2009, elle s’était invitée de force avec Obama à une rencontre entre les deux pays précités pour négocier un accord global.
  • Marijuana : Sanders se déclare en faveur de la loi pour la légalisation de la marijuana qui sera soumise prochainement au vote au Nevada, arguant que trop de vies ont été détruites suite à des condamnations pour des délits non-violents (« la guerre contre la drogue a fait beaucoup de dommages »). Clinton soutient la marijuana pour raisons thérapeutiques mais ne prend pas position pour son usage récréatif, ajoutant toutefois qu’il faut cesser d’emprisonner les consommateurs.

 

4°) A propos d’eux (parcours, compétences, sujets qui fâchent …)

 

Portrait officiel d'Hillary Clinton en tant que Secrétaire d'Etat (2009)Clinton : interrogée sur ses positions fluctuantes (mariage gay, TPP …) et le fait qu’elle est parfois perçue comme capable de dire tout et n’importe quoi pour être élue, elle répond qu’elle a toujours été cohérente au niveau des valeurs. Sur le fait qu’elle et sa famille font partie du « Top 1% » stigmatisé par Sanders : « nous sommes bénis mon mari et moi, et je veux que quiconque dans ce pays ait l’opportunité de tenter d’atteindre les sommets de la société ».

Sur ses emails : avant de recevoir le soutien (ambivalent ?) de Sanders (« The American people are sick and tired of hearing about your damn emails », « Les Américains en ont ras-le-bol d’entendre parler de vos fichus emails »), Clinton s’est défendue en affirmant que le comité d’enquête était partisan et manœuvré par les républicains. Elle ne contesta pas l’enquête en cours du FBI (« je ne dis pas qu’elle est illégitime »), affirma avoir déjà répondu aux questions posées par cette affaire et qu’elle répondrait à celles du comité, mais que là n’étaient pas les vrais problèmes. Une voix discordante : Chafee, qui affirme que cette affaire abîme la crédibilité du pays.

A la question « Comment un candidat se présentant comme socialiste pourrait-il être élu », Sanders tente une définition du socialisme démocratique, invite à regarder ce qui se fait en Scandinavie et se fait contrer par Clinton (« Nous ne sommes pas au Danemark, nous sommes aux Etats-Unis »).

Chafee : sur son parcours politique (républicain, indépendant et enfin démocrate) : « C’est le parti [républicain] qui m’a quitté, pas moi ». Moment gênant : tentant d’expliquer son revirement sur les banques (il critique la position de Clinton vis-à-vis de Wall Street mais a lui-même voté en 1999 l’abrogation de Glass-Steagall), il bafouille qu’il venait d’arriver au Sénat, que son père venait de mourir et qu’il ne savait pas trop ce qu’il votait, n’ayant été jusque-là que simple maire de sa ville.

O’Malley : questionné sur les critiques adressées par ses successeurs à Baltimore (notamment sur sa politique de tolérance zéro), il répond qu’à son arrivée la ville était la plus violente du pays, qu’il l’a mise sur la voie du redressement et a contribué à sauver des vies, surtout dans la population noire. « Il fallait restaurer la paix » dit-il, et il évoque un cas rappelant une scène de la série « The Wire », celui d’une famille dont la maison est incendiée car un enfant a dénoncé un malfaiteur de rue.

Webb : explique que ses critiques sur la discrimination positive ne le mettent pas en porte-à-faux avec le parti, il parle pour les gens qui n’ont pas la parole et cela n’est pas déterminé par la race.

Sur les adversaires qu’ils sont les plus fiers d’avoir comme ennemis : Chafee : le lobby du charbon ; O’Malley : la NRA ; Clinton : les assureurs, les sociétés pharmaceutiques, la NRA, les républicains … ; Sanders : Wall Street, les sociétés pharmaceutiques ; Webb : un gars qu’il a abattu au Vietnam.

 

Bilans individuels

 

Portrait officiel d'Hillary Clinton en tant que Secrétaire d'Etat (2009)Clinton a rappelé sa longue expérience (énumération de ses rôles et postes précédents) ainsi que son récent statut de grand-mère qui veut que tous les petits-enfants du pays aient un grand avenir. Elle insiste sur le changement climatique et souligne qu’élire une femme équivaut à porter un outsider à la tête du pays, même si elle ne remet nullement en cause les succès d’Obama, qu’elle veut poursuivre et mener plus en avant. Elle s’est repositionnée sur sa gauche, mais de manière pragmatique. Enfin, elle affirme que ses plans sont définis, qu’elle y a beaucoup réfléchis et qu’ils sont prêts à être appliqués.

 

Photo de Bernie Sanders en tant que sénateur en 2007Sanders martèle que la crise actuelle est sans précédent, que la classe moyenne disparaît et que le Top 1% prend tout. Il s’attaque au financement des campagnes électorales (un système « corrompu ») dans lequel les élus représentent les intérêts des grandes entreprises, pas du peuple ; il appelle à mener une « révolution » politique et ajoute que lui n’a pas de SuperPAC à son service. Insiste sur la nécessité de résoudre le problème climatique (qui est « réel » et lié à « l’activité humaine »), ainsi que celui de la surpopulation carcérale (« les Etats-Unis emprisonnent plus que n’importe quel autre grand pays »).

 

Martin O'Malley en 2014 en tant que gouverneur du MarylandO’Malley insiste sur les injustices économiques ainsi que sur les classes moyennes et à bas revenus qui subissent une pression terrible. Il veut aussi une révolution, mais « verte », pour répondre au défi du changement climatique. Il souligne la différence avec les républicains : « Ici, on ne dénigre ni les femmes ni les migrants » et « il faut parler à la bonté de ce pays ». Il n’est pas sans rappeler Chris Christie par ses (nombreuses) références aux accomplissements qu’il a réalisés dans ses ex-circonscriptions (Baltimore en tant que maire, le Maryland en tant que gouverneur).

 

Chafee mettra fin aux guerres au Moyen Orient et rappelle que son long parcours (maire, sénateur, gouverneur) n’a jamais été émaillé d’aucun scandale, preuve de son sens de l’éthique. S’il n’a pas voté pour la guerre en Iraq, c’est parce qu’il n’était pas convaincu par les arguments avancés, il a fait son travail.

Webb dit qu’il n’est pas révolutionnaire comme Sanders et qu’il faut tenir compte du Congrès. Il souligne sa capacité à prendre des décisions impopulaires et à trouver des solutions. « Je sais diriger, je l’ai fait au Vietnam ».

 

Le résumé du débat en vidéo

 

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