Contexte : le coup d’envoi véritable de la campagne républicaine a lieu à Cleveland (Ohio), pour un débat modéré par Fox News et co-organisé avec Facebook. Ce soir, ce ne sont pas moins de dix candidats qui seront simultanément en scène lors du débat prime-time, les sept autres, moins bien classés dans les sondages, devant se contenter d’un débat des seconds couteaux à une heure de moindre écoute.

Parmi les candidats prime-time figure évidemment Donald Trump, l’attraction du moment, que les enquêtes d’opinion placent loin devant le peloton de ses rivaux. Le phénomène va-t-il durer ? Ce sera en tout cas l’une des questions qui animera à coup sûr le débat.

 

Le festival de Trump

 

Donald Trump en août 2015Trump, Trump, Trump. L’homme a polarisé le débat et reçu le plus de temps de parole parmi tous les candidats : 10’ 32’’, deux minutes de plus que le suivant (Bush) et le double de ceux qui ont parlé le moins (Walker et Paul).

La tendance est donnée d’entrée : alors qu’un journaliste demande que lèvent la main les candidats ayant l’intention de ne pas soutenir le vainqueur de la primaire pour se présenter en tant que candidat indépendant, seule celle du milliardaire se lève, déclenchant des huées dans la salle. Paul l’accuse alors de se placer en faveur de Clinton et ajoute qu’il a l’habitude d’acheter des politiciens, ce à quoi Trump rétorque qu’il lui [à Paul] a déjà donné plein d’argent.

Un autre moment chaud a lieu quand la journaliste Megyn Kelly interroge Trump sur ses propos fleuris au sujet des femmes (« You’ve called women you don’t like “fat pigs, dogs, slobs, and disgusting animals” », c.-à-d. « Vous avez qualifiés des femmes que vous n’aimez pas de “grosse truies, chiennes, souillons et animaux dégoûtants” ») et demande si de tels commentaires correspondent au tempérament d’un homme aspirant à être président. Trump déclare que le pays a un problème avec le politiquement correct et qu’il n’a pas de temps à perdre là-dessus, puis enchaîne avec le couplet des États-Unis qui ne gagnent plus. Le sujet revient sur la table dès le lendemain du débat, quand Trump déclare que Kelly pose des questions ridicules et lui a fait subir un traitement « injuste », ajoutant qu’elle « avait du sang qui lui sortait des yeux et de … peu importe où » (« You could see there was blood coming out of her eyes. Blood coming out of her — wherever »). La remarque fait un tollé, l’interprétation commune étant que Trump accuse la journaliste d’avoir été agressive parce qu’elle avait ses règles …

Autre domaine où Trump s’est « illustré » : l’immigration. A la question de savoir quelles preuves il a pour étayer ses affirmations comme quoi le gouvernement mexicain envoie aux États-Unis ses criminels, violeurs et dealers, il déclare que c’est ce que les habitants des États frontaliers lui disent. Il ajoute que, sans lui, le sujet ne serait pas discuté aujourd’hui, et il réitère sa volonté de construire un mur. Interrogé sur ce sujet, Kasich déclare que Trump a ses solutions et lui les siennes, mais qu’il a touché un nerf et que le peuple veut que soit mis un terme à l’immigration illégale.

Interrogé sur ses revirements concernant les soins de santé (ses vues ont longtemps été proches de celles des démocrates), Trump déclare d’abord être le seul ici à avoir été contre la guerre en Irak. Puis, revenant à la question, il affirme que les mesures qu’il prônait à l’époque auraient pu marcher mais que les conditions sont différentes maintenant et que le jeu est perverti par les compagnies d’assurance qui contrôlent les politiciens. S’en suit une cacophonie sur l’argent qu’il a donné à des hommes politiques, avec plusieurs candidats sur scène affirmant n’avoir jamais rien reçu de lui (l’un ajoutant « mais j’espère que tu le feras »). Trump reprend ensuite sa tirade, disant que, quand un politicien l’appelle, il donne, et que si lui, plus tard, a besoin de quelque chose, ils sont là pour le lui obtenir. Interrogé sur ce qu’il a obtenu de Clinton, il répond : « Qu’elle assiste à mon mariage ».

Questionné sur sa versatilité en matière d’avortement, il déclare avoir évolué sur ce sujet et détester ce concept, ajoutant ensuite qu’il vient de New York, qui est presque exclusivement démocrate, qu’il a compris les aspects négatifs de leur gestion et qu’il regrette que les derniers mois catastrophiques de l’administration Bush aient permis à Obama de devenir président.

Dernière séquence : la faillite de certains de ses casinos. Interrogé pour savoir comment faire confiance à quelqu’un avec un tel bilan, il déclare n’avoir rien fait d’autre que tirer parti des lois du pays (la mise sous protection via le Chapter 11) et qu’il n’y a que quatre affaires sur les centaines qu’il a mené qui ont été dans cette situation.

 

Les autres candidats

 

Ben Carson en 2015Ben Carson : interrogé sur sa méconnaissance de certains sujets de politique internationale (les partis politiques en Israël, l’implication de l’OTAN dans les pays Baltes …), il répond que le plus important est d’avoir un cerveau et de savoir s’en servir. A la question de savoir s’il est favorable à la réautorisation du waterboarding, il commence par regretter ne pas avoir assez de temps de parole, puis déclare qu’il ne faut pas être politiquement correct ni crier tout au haut ce qui va être fait. Calme et pondéré, le neurochirurgien du John Hopkins Hospital est dans l’ensemble apparu assez discret, voire effacé.

 

 

Photo officiel de Marco Rubio en tant que sénateur (2011)Marco Rubio : questionné sur son inexpérience, il affirme ne pas être neuf en politique et que la présidentielle ne peut se résumer à un concours de CV, sinon Clinton gagnera. « It should be about the future, not the past ». Il met en avant ses origines modestes, déclare qu’il faut sécuriser la frontière mais aussi que les migrants qui respectent les procédures ne doivent pas être défavorisés. Il veut apporter davantage de soutien aux PME et nie avoir défendu des mesures d’exception en matière d’avortement si viol ou inceste (« all human life at every stage of its development is worthy of protection »).

 

 

Jeb Bush en 2015Jeb Bush : interrogé sur l’aspect dynastique de sa candidature, il répond avoir un bilan à montrer en Floride, où il a baissé des impôts, créé des emplois, etc. Sur l’immigration : oui, il a durci ses positions. Il comprend certes le besoin pour certains de migrer illégalement (« they have no option ») et il déclare qu’il faut en effet une procédure permettant d’acquérir un statut légal (mais pas une amnistie, non, non), mais ajoute ensuite qu’il faut aussi sécuriser la frontière et éliminer les villes sanctuaires. Sur l’éducation, une (petite) différence de point de vue l’opposa à Marco Rubio au sujet du « Common Core » qu’il défend plus ou moins.

 

 

Portrait officiel de Ted Cruz en tant que sénateur (2013)Ted Cruz : interrogé sur ses propos envers le chef de la majorité républicaine au Sénat Mitch McConnell (qu’il a qualifié de menteur suite à un différend concernant l’Export-Import Bank of the United States), le sénateur du Texas répond que les électeurs veulent quelqu’un qui dise la vérité. Il s’en prend ensuite à ceux qui, une fois élus, s’acoquinent avec les lobbyistes et oublient leurs promesses. Sur la question de l’immigration illégale, il se déclare profondément anti-amnistie. Sur Daech : « il faut dire la vérité, il s’agit de terrorisme islamique ». Dans l’ensemble, il a confirmé vouloir rester sur la ligne dure qui a fait sa réputation au sein du Tea Party.

 

 

Chris Christie en 2015Chris Christie : interrogé sur la situation économique difficile du New Jersey, il répond : « si vous aviez vu l’état dans lequel il était lorsque j’en suis devenu gouverneur … ». Une passe d’arme l’oppose à Paul sur la NSA, Paul déclarant vouloir que cette agence recueille plus de renseignements sur les terroristes mais moins sur les Américains innocents. Christie rétorque que sa réponse est ridicule, que, lui, il a été directement exposé au terrorisme et, quand Paul l’accuse d’avoir donné « a big hug » à Obama, il réplique : « the hugs I remember are the ones I gave to family on 9/11 » (« les étreintes dont je me souviens sont celles que j’ai données aux familles victimes du 11 septembre »).

 

 

Scott Walker en 2015Scott Walker : questionné sur l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la vie de la mère, il confirme être partisan d’une ligne « pro-life » ferme. Interrogé sur ses fluctuations concernant la question de l’immigration, il déclare avoir écouté les Américains et désormais vouloir sécuriser la frontière et ne pas mettre en place d’amnistie pour les clandestins. Quant à l’accord nucléaire qui vient tout juste d’être signé avec l’Iran, il le critique fermement et entend le dénoncer s’il est élu président. Contrairement à d’autres (Rubio, Paul, Christie), il n’est pas vraiment parvenu à sortir un tantinet du lot, et n’a dans l’ensemble pas fait une grande impression.

 

 

Mike Huckabee en 2015Mike Huckabee confirme lui aussi être profondément anti-avortement et déclare : « la Cour suprême n’est pas l’Être suprême ». En ce qui concerne la fiscalité, il veut appliquer un système simple : 10% d’impôt pour tous et suppression de toutes les déductions et niches fiscales, point final. Interrogé sur la présence de transgenres dans l’armée, il déclare : « The military is not a social experiment. The purpose of the military is kill people and break things ». Comme Scott Walker et Ben Carson, l’ex-gouverneur de l’Arkansas est lui aussi apparu globalement en retrait par rapport à d’autres candidats.

 

 

Portrait officiel de Rand Paul en tant que sénateur (2011)Rand Paul : il tente à deux reprises de s’en prendre à Trump (sur sa candidature indépendante et sur ses anciennes positions proches des démocrates), sans succès. Il a aussi une algarade avec Christie (cf. supra) et se montra critique vis-à-vis d’Obama et de l’accord sur le nucléaire iranien. Il n’hésite pas non plus à s’en prendre aux faucons républicains de l’administration W. Bush qu’il accuse d’être responsables de la montée de Daech, leur reprochant notamment d’avoir financé ou armé des groupes terroristes quand cela semblait approprié, sans en mesurer les conséquences à long-terme.

 

 

Portrait officiel de John Kasich en tant que gouverneur de l'OhioJohn Kasich : interrogé sur sa référence à Saint Pierre (qui demandera à tout un chacun se présentant aux portes du paradis ce qu’il a fait pour aider les pauvres) pour justifier son expansion du programme Medicaid en Ohio, il répond d’abord que Reagan a aussi étendu ce programme à trois ou quatre reprises, puis ajoute qu’il est essentiel de résoudre les souffrances de ceux qui souffrent de dépendance à la drogue ou sont malades. Il déclare également que les dépenses concernées sont sous contrôle et que son bilan budgétaire est très bon. Concernant le mariage gay, il affirme être en faveur du mariage traditionnel, mais montre son ouverture d’esprit en déclarant que, si une de ses filles devait choisir cette voie, il l’accepterait.

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