Parce que incapables de décrire le violeur et assassin de leur amie Emili, quatre fillettes sont frappées de malédiction par la mère de la victime : tant que le visage du coupable ne leur sera pas revenu en mémoire, elles devront faire Shokuzaï (« pénitence »).

Quinze ans plus tard, la vie des fillettes désormais adultes reste marquée par le drame qui a bouleversé leur enfance, quoique de façon différente, avec d’une part « celles qui veulent se souvenir », et, d’autre part, « celles qui veulent oublier ».

 

Les fillettes - Photo extraite du film Shokuzaï

 

Résumé (avec spoilers, mais pas la fin)

Parmi celles qui veulent se souvenir, il y a Sae et Maki. La première est victime d’un blocage biologique qui l’empêche de devenir « femme », tandis que la seconde, devenue enseignante, espère de manière obsessionnelle avoir un jour l’occasion de sauver des enfants pour se racheter de la mort d’Emili. Leur destin sera tragique : devenue l’épouse d’un mari fétichiste qui la traite littéralement en poupée, Sae parviendra dans des circonstances dramatiques à se libérer du sort qui la frappe. Quant à Maki, l’acte de bravoure tant espéré aura bien lieu, mais il ne lui apportera aucun soulagement et provoquera sa perte.

Puis, il y a Akiko et Yuka, « celles qui veulent oublier ». La première a sombré dans le déni, l’apathie et l’infantilisme, et vit cloîtrée chez ses parents. Un jour, son frère, parti depuis belle lurette, revient au domicile familial et, par son comportement, la pousse à sortir de sa léthargie. L’acte alors commis la libère-t-elle de la malédiction proférée par la maman d’Emili ? A-t-elle accompli la pénitence à laquelle elle avait jusque-là voulu se soustraire ? Ces questions, une qui ne risque pas de se les poser, c’est Yuka, un joli petit monstre égoïste prêt à tout pour arriver à ses fins, et que le souvenir d’Emili ne tracasse plus depuis longtemps, si tant est qu’il l’ait jamais tracassée. C’est pourtant par elle que l’histoire rebondira, que la maman d’Emili retrouvera l’assassin et découvrira une vérité qui la laissera désemparée et, à son tour, en pénitence.

 

Annonce de Shokuzaï

De gauche à droite : Maki l’enseignante ; Sae la poupée ; la maman d’Emili ; Yuka le petit monstre ; Akiko l’ourse.

 

Commentaires (avec spoilers, mais pas la fin)

A l’origine série télé de cinq heures tirée d’un roman, Shokuzaï a été remonté en deux films pour la distribution hors-Japon : « Celles qui voulaient se souvenir » et « Celles qui voulaient oublier ».

L’œuvre est une intrigue psychologique angoissante très bien menée. Dans une ambiance oppressante, malsaine et parfois à la limite du fantastique, Kurosawa filme lentement le sentiment de culpabilité (ressenti, imposé, nié ou ignoré) et livre cinq portraits de femmes à la fois glaçants et poignants. L’interprétation des actrices est impressionnante, notamment celle tenant le rôle d’Akiko (« l’ourse »), dans ce qui est, avec celui sur Sae (glauque et oppressant), l’un des meilleurs chapitres. Celui sur Yuka, démoniaque et immorale, est également de bonne facture, seul celui sur l’enseignante Maki paraissant un cran en-dessous.

Mais la figure la plus marquante est évidemment celle de la mère, dont la psychologie est proche de celle de Yuka. Ses apparitions au cours des quatre premiers chapitres sont celles d’une Érinye poursuivant les jeunes filles d’une malédiction qu’elle refuse de lever tant que sa vengeance ne sera pas accomplie (cela est surtout vrai avec Sae et Akiko, moins avec Maki et Yuka, avec qui elle se montre davantage « bienveillante »). Le cinquième chapitre (qui livre l’identité de l’assassin et les raisons l’ayant conduit à commettre son acte) change la donne, la montre sous un jour plus humain et moins désincarné, surtout lorsqu’est révélée sa part de responsabilité, qu’elle-même ignorait.

Un gros bémol : si quelques raccords ratés et divers défauts minimes inhérents au passage du petit au grand écran sont anecdotiques, plus gênante est la faiblesse scénaristique des éclaircissements finaux (multiplication de twists et explications pas toujours crédibles, voire superflues, surtout concernant une lettre, qui aurait gagné à garder son mystère). En bref, le dénouement n’est pas à la hauteur et laisse un sentiment de mal ficelé. Autre bémol : certaines scènes de morts violentes ne sonnent pas réalistes et font « cheap ».

Un mot enfin sur l’image peu reluisante qui est donnée des représentants mâles de la société japonaise, lâches, impuissants, déséquilibrés, faibles ou médiocres (un inspecteur de police excepté). Si les jeunes femmes s’en tirent mieux, ce n’est pas le cas de leurs aînées (la mère de Sae, celle d’Akiko), lesquelles semblent résignées, dans une société solitaire où la communication familiale est déficiente, voire absente, et où nombre de mariages sont arrangés ou organisés sur base de CV.

 

Fiche technique

Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa

Durée : 4 h 30

Année de sortie : 2012

Distribution : Kyôko Koizumi (Asako Adachi, la mère d’Emili), Yu Aoi (Sae, la « poupée), Eiko Koike (Maki, l’enseignante), Sakura Ando (Akiko Takano, « l’ourse »), Chizuru Ikewaki (Yuka, la fleuriste), Teruyuki Kagawa (Hiroaki Aoki, le professeur) …