Le processus d’investiture est long et complexe. L’objectif pour les candidats est d’obtenir (via des scrutins qui vont se jouer dans une cinquantaine d’États et territoires au cours des cinq prochains mois) la majorité absolue des délégués qui seront présents lors des conventions qui se tiendront à Philadelphie pour les démocrates (25-28 juillet) et à Cleveland pour les républicains (18-21 juillet). Côté démocrate, 4764 délégués seront présents à cet événement, ce qui signifie qu’il en faut au moins 2383 pour être investi. Côté républicain, ces nombres s’élèvent respectivement à 2472 et 1237.

 

1. Calendrier

2. Types de scrutins

a) Caucus vs. Primaires – b) Ouvert vs. Semi-ouvert vs. Semi-fermé vs. Fermé – c) Nombre de délégués en jeu – d) Allocations des délégués

3. Les super-délégués démocrates

4. Les conventions

5. Historique des primaires

 

1. Calendrier

 

La plupart du temps, républicains et démocrates votent le même jour dans le(s) même(s) État(s). Cette règle a toutefois de nombreuses exceptions, et les votes dans un même État se tiennent parfois à plusieurs semaines d’intervalles, ce qui explique la présence de deux nombres en regard de certaines dates dans le tableau ci-dessous.

Le nombre de scrutins en jeu pour les républicains est de cinquante-six : les cinquante États de l’Union plus six territoires : Puerto Rico, les Samoa américaines, les Îles Vierges américaines, les îles Mariannes du Nord, Guam et le District of Columbia (Washington D.C.). A ces cinquante-six scrutins, les démocrates en ajoutent un cinquante-septième : celui des démocrates de l’étranger.

Date Événement # États en jeu
Commentaires
1er février  Ouverture 1 Iowa
 Du 11 au 27 février  Early States  3 Dont le New Hampshire
1er mars  Super Tuesday n°1  De 13 à 14 La journée-phare
 Du 5 au 12 mars  Transition  De 12 à 17 Dont Michigan et Louisiane
 15 mars  Super Tuesday n°2  De 5 à 6 Dont Floride et Ohio
 Du 19 mars au 9 avril  Transition  De 6 à 8 Dont Washington (Dem)
 19 avril  New York  1
 26 avril  Acela **  5 Dont la Pennsylvanie
Du 3 mai au 5 juin  Transition  De 5 à 7 Dont Washington (Rep)
 7 juin  Clôture  De 5 à 6 Dont la Californie
 Du 8 juin au 17 juillet  Transition  – Préparation des conventions
Du 18 au 21 juillet Convention républicaine A Cleveland
Du 25 au 28 juillet Convention démocrate A Philadelphie

** Primaire de l’Acela = nom donné à la journée au cours de laquelle les primaires se déroulent dans cinq États du Nord-Est ayant la particularité d’être traversés par le train à grande vitesse Acela, lequel relie Boston à Washington. Les États concernés sont le Connecticut, le Delaware, le Maryland, la Pennsylvanie et Rhode Island.

 

Les « Super Tuesdays »

Le véritable Super Tuesday tombe le premier mardi du mois de mars. Il est caractérisé par le très grand nombre de scrutins organisés ce jour-là (une douzaine ou plus) et est considéré comme un moment-clef des primaires.

Deux semaines plus tard se tient un Super Tuesday n°2. Le nombre de scrutins en jeu y est moindre en quantité, mais leur influence peut s’avérer cruciale, notamment dans le chef de la Floride et de l’Ohio. Entre ces deux dates a lieu ce qui est parfois appelé « mini-Super Tuesday », avec pour enjeu des États comme le Michigan et le Mississippi.

Quant à la primaire dite de l’Acela (qui a lieu fin avril), elle se tient également un mardi et est parfois qualifié de « troisième Super Tuesday ». Enfin, le dernier jour des primaires (qui cette année tombe le premier mardi de juin) pourrait également se voir accolé cette expression, mais comme la plupart des verdicts sont généralement connus avant qu’il ait lieu, il retient nettement moins l’attention.

A côté des Super Tuesdays existent aussi les Super Saturdays. L’expression est moins populaire mais s’entend parfois pour désigner quelques-uns des scrutins organisés ce jour-là de la semaine en mars.

 

2. Types de scrutins

 

Caucus vs. Primaires

Au nombre de quatorze, les caucus consistent en « un rassemblement de militants politiques locaux d’un parti pour choisir les délégués qui désigneront le candidat à l’investiture de ce parti » (Wikipédia). En bref, dans chaque district des États concernés, les militants d’un parti se retrouvent en un lieu (un gymnase, une salle des fêtes …) où ils se regroupent ensuite au vu et au su de tous selon le candidat de leur choix. Le processus exact est compliqué et peut comporter diverses subtilités.

Les primaires (qui constituent la majorité des scrutins) sont a priori plus simples et consistent en un vote direct des militants.

 

Ouvert vs. Semi-Ouvert vs. Semi-Fermé vs. Fermé

Caucus et primaires peuvent être ouverts (tout le monde peut voter), semi-ouverts (tout le monde peut voter sauf les électeurs inscrits auprès du parti adverse), semi-fermés (seuls les électeurs inscrits au parti et ceux renseignés comme indépendants peuvent voter) ou fermés (seuls les électeurs enregistrés auprès du parti peuvent voter).

Le profil des votants peut donc varier fortement d’un scrutin à l’autre suivant le format choisi, et donc favoriser (ou défavoriser) certains candidats. Il convient également de noter que les délais d’inscriptions sur les listes peuvent parfois se clôturer plusieurs mois avant le scrutin, ce qui ne va pas toujours sans poser certains problèmes. Ainsi, dans l’État de New York où était organisée une primaire fermée, Sanders se plaignit que, pour pouvoir participer au vote, les électeurs indépendants devaient impérativement s’être inscrits comme démocrates ou républicains au plus tard six mois avant l’élection, c.-à-d. à un moment où sa notoriété était loin de ce qu’elle allait devenir par la suite. Plus cocasse : toujours dans ce même État de New York, deux électeurs républicains notables ont manqué à l’appel pour avoir oublié de s’enregistrer en temps et en heure voulue : Eric et Ivanka Trump, deux des enfants du magnat de l’immobilier candidat à l’investiture républicaine.

 

Nombre de délégués en jeu

Chaque parti décide lui-même du nombre de délégués alloués par chaque État. Ce nombre varie donc parti par parti (les démocrates en allouent quasi deux fois plus que les républicains) et est déterminé notamment sur base de la population d’un État, mais également sur sa propension à voter pour le parti lors des élections. Ainsi, si la Californie est l’État avec le plus grand nombre de délégués tant chez les démocrates que chez les républicains, son poids dans leur primaire respective n’en est pas moins différent, les délégués démocrates de Californie pesant 12% de tous les délégués démocrates, alors que les délégués républicains de Californie ne représentent que 7% de tous les délégués du GOP.

Pourquoi une telle différence ? Parce que la Californie est un État qui vote traditionnellement démocrate, ce qui explique que ce parti veuille mettre en avant son importance dans le processus des primaires, alors que les républicains, eux, préféreront valoriser des États où leur mainmise est forte. Tel est notamment le cas du Texas, lequel est un tiers moins peuplé que la Californie (27 millions d’habitants vs. 39 millions) mais n’en dispose pas moins d’un nombre de délégués républicains quasi identique (155 texans vs. 172 californiens). La situation est (évidemment) inversée côté démocrate (251 délégués démocrates texans vs. 548 délégués démocrates californiens).

Les cinq États les plus grands pourvoyeurs de délégués et super-délégués démocrates sont : 1. la Californie (548 délégués, soit 12% de tous les délégués démocrates) ; 2. New York (291 ; 6%) ; 3. le Texas (251 ; 5%) ; 4. la Floride (246 ; 4%) ; 5. la Pennsylvanie (210 ; 4%).

Total représenté par ces cinq États = 32% de tous les délégués démocrates.

Les cinq États les plus grands pourvoyeurs de délégués et super-délégués républicains sont : 1. la Californie (172 délégués, soit 7% de tous les délégués républicains) ; 2. le Texas (155 ; 6%) ; 3. la Floride (99 ; 4%) ; 4. New York (95 ; 4%) ; 5. la Géorgie (76% ; 3%).

Total représenté par ces cinq États = 24% de tous les délégués républicains.

Une brève comparaison des cinq plus gros pourvoyeurs de délégués de chaque parti illustre bien la différence de leur base électorale respective : quoique dans un ordre différent, les cinq États concernés sont quasi les mêmes (exception faite du cinquième), mais leur influence globale diffère, puisqu’ils pèsent 32% de tous les délégués pour les démocrates, et 24% seulement pour les républicains, ces derniers accordant un poids plus grand aux États ruraux moins peuplés (traditionnellement conservateurs), les démocrates concentrant quant à eux leurs forces dans les États les plus peuplés et dotés de grands centres urbains.

 

Allocations des délégués

Côté démocrate, la méthode est simple : chaque candidat reçoit un nombre de délégués proportionnel aux votes qu’il a obtenus, pour autant qu’il ait récolté au moins 15% des suffrages. S’il n’est pas parvenu atteindre ces 15%, le candidat concerné ne se voit attribuer aucun délégué.

Côté républicain, l’allocation des délégués varie en fonction des États, lesquels peuvent recourir à :

  • la proportionnelle intégrale (chaque candidat se voit attribuer des délégués au pro rata de son score quel qu’il soit)
  • la proportionnelle partielle (un pourcentage minimum de suffrages est requis pour se voir attribuer des délégués, et une prime en nombre de délégués peut être accordée au candidat arrivé premier ou ayant atteint un certain pourcentage de voix)
  • la méthode dite « Winner Takes All », laquelle alloue tous les délégués d’un État au candidat arrivé en tête du scrutin, peu importe l’écart avec le deuxième ou le pourcentage de voix obtenus. Cette dernière méthode (qui s’applique dans dix-huit États ou territoires et peut peser lourd dans la balance) a été instaurée pour réduire le risque d’avoir une convention négociée (cf. infra).

 

3. Les super-délégués démocrates

 

Aux délégués des États, les démocrates ajoutent 714 super-délégués (sénateurs, gouverneurs, représentants …) libres de rallier le candidat de leur choix quand ils le désirent, mais aussi … de changer d’avis en cours de route. Au total, ces super-délégués pèsent environ 20% du total de tous les délégués démocrates, ce qui signifie qu’ils peuvent potentiellement avoir un rôle décisif dans le choix du candidat investi.

Leur origine remonte à 1981, suite à la déroute du président sortant Jimmy Carter face à Ronald Reagan lors de l’élection de 1980. L’establishment du parti démocrate souhaite apporter des modifications au système des primaires mis en œuvre après 1968 (cf. infra Historique des primaires) et retrouver une influence suffisante pour éviter que ne soient à nouveau investis des candidats tels George McGovern (1972) ou Jimmy Carter (1976 et 1980), c.-à-d. des candidats radicaux qui plaisent à la base du parti, mais risquent d’effrayer l’électorat modéré et donc de conduire à de cuisantes défaites face aux républicains.

Suite à ces échecs, une proposition est formulée pour que les officiels et élus du parti représentent dorénavant 30% des délégués participant à la convention et qu’ils soient libres d’attribuer leur vote à qui ils le veulent. Objectif officieux de la manœuvre : pouvoir « rectifier » le choix de la base si celle-ci devait porter ses suffrages sur un « mauvais » candidat. Cette proposition déclenche de vives réactions et, si le principe des « super-délégués » est finalement accepté, ceux-ci ne pèsent toutefois « que » 15% des tous les délégués participant à la convention. Ce pourcentage évoluera toutefois au fil des ans et atteint désormais 20%.

En pratique, les super-délégués n’ont encore jamais modifié les verdicts des primaires, bien qu’il y ait eu deux cas litigieux : un premier (petit) en 1984 (Mondale vs. Hart) et un autre plus conséquent en 2008 (Obama vs. Clinton), qui se dénoua toutefois avant la convention. Les critiques ne demeurent pas moins vives à leur égard, notamment cette année dans le chef de Bernie Sanders, qui les accuse de faire apparaître comme inéluctable la victoire de sa rivale, la grande majorité des super-délégués étant pro-Clinton, ce qui permet à cette dernière de démarrer les primaires avec une avance arithmétique et morale nette. Sanders réclame donc une modification des règles les concernant, estimant (comme d’autres avec lui) que les droits qui leur ont été accordés sont anti-démocratiques et qu’ils devraient a minima être contraints de voter selon le résultat des primaires de leur État.

Côté républicain, les équivalents des super-délégués démocrates sont (nettement) moins nombreux et, le plus souvent (mais pas toujours), liés par le résultat des caucus et primaires, ce qui suscite dès lors beaucoup moins de débats.

 

4. Les conventions

 

Une convention est le nom donné au grand rassemblement organisé par un parti pour officialiser le candidat qui le représentera à la présidentielle. Historiquement (cf. infra), cet événement a longtemps été le moment où le choix d’un candidat (et de son vice-président) avait effectivement lieu. Cela est resté vrai jusque dans les années 1970, lorsque le système des primaires s’est généralisé à la quasi-totalité des États, le verdict concernant le choix du candidat étant désormais le plus souvent connu avant les conventions, celles-ci perdant alors leur côté « faiseur de candidat » pour devenir des chambres d’enregistrement où sont formellement entérinée les investitures des heureux élus.

L’aspect cérémonial qu’elles revêtent n’en demeure pas moins important, notamment en ce qui concerne le roll call, cette séance au cours de laquelle, à tour de rôle, les porte-paroles des délégations de chaque État annoncent le résultat des scrutins qui se sont tenus dans leur territoire. Ce décompte dure jusqu’à ce que le « presumptive nominee » (le nominé présumé) se soit officiellement vu attribuer le nombre minimum de délégués requis pour recevoir l’investiture, le décompte s’interrompant alors pour procéder à l’acclamation du vainqueur par la foule. Quant au vice-président, celui-ci étant généralement choisi avant l’événement par le candidat vainqueur, son adoubement par le parti peut se faire par simple acclamation.

Bref, les conventions font désormais office de grand raout où se rassemble la fine fleur d’un parti pour afficher son unité. La règle souffre toutefois d’exceptions. Ainsi, lorsque la lutte pour les primaires se révèle serrée et/ou acharnée, il arrive qu’un candidat refuse de reconnaître sa défaite bien que son rival ait mathématiquement acquis la majorité des délégués. Les raisons poussant quelqu’un à se maintenir peuvent notamment résider dans sa volonté d’exprimer le plus longtemps possible sa défiance envers le vainqueur, que ce soit à cause de sa personnalité ou de ses idées. Une autre raison peut être de chercher à peser sur le programme dudit vainqueur, et de le pousser à en modifier certains aspects. Pour dénouer cette situation, soit les adversaires concernés trouvent un accord avant la convention et le candidat récalcitrant finit par se retirer, soit la convention devient contestée, c.-à-d. que deux candidats au moins sont en course lors du roll call. Les délégués étant toutefois obligés lors du premier tour de roll call de voter selon le résultat des primaires de leur État, l’issue du scrutin ne fait pas de doute, le candidat qui a mathématiquement obtenu la majorité absolue des délégués avant la convention est proclamé vainqueur, et la seule conséquence notable de cette contestation est d’afficher au vu et au su de tous les fractures qui minent le parti (ce qui peut s’avérer particulièrement dommageable pour la suite des opérations).

Il existe cependant un autre motif pour qu’un candidat provoque une convention contestée : l’incertitude quant à l’obtention par son adversaire de la majorité absolue des délégués. En effet, de par la complexité de la procédure des primaires et la possibilité pour certains délégués de modifier leur vote (cas des super-délégués), il est possible, en cas de primaires serrées, que le décompte provisoire des délégués ne permette pas d’affirmer avec certitude avant la convention qu’un candidat a bel et bien obtenu la majorité absolue indispensable pour être investi. Dans un tel scénario, le challenger mise sur un incroyable renversement de situation et tente de convaincre les délégués autorisés à le faire de changer leur vote. A nouveau, le roll call fait office de juge paix : le candidat qui y obtient la majorité absolue des délégués est le vainqueur. En revanche, si personne ne décroche cette majorité absolue, ce sont les règles en vigueur pour une convention négociée qui s’appliquent, et c’est alors une toute autre histoire qui commence.

Une convention est dite négociée (brokered) lorsque aucun candidat n’est parvenu au cours des primaires à obtenir la majorité absolue des délégués. Dans un tel scénario, soit des candidats se désistent préalablement à la convention en faveur de celui qui a obtenu la majorité relative (ou d’un autre), soit ils campent sur leurs positions, la convention démarrant alors sans certitude en ce qui concerne le candidat qui sera intronisé.

Comme à l’ordinaire, la convention s’ouvre par un roll call. Les délégués étant tenus de voter selon le résultat des primaires de leur État, ce roll call ne sert toutefois à rien d’autre qu’à entériner le blocage. Une fois ce premier tour passé, la donne change : les délégués sont déliés de leur obligation de respecter le résultat des primaires de leur État et deviennent libres de porter leur voix sur le candidat de leur choix (d’où l’importance pour lesdits candidats d’avoir réussi à placer des délégués qui leurs sont fidèles dans les délégations des États). La convention retrouve alors un format semblable à celui d’avant la généralisation des primaires, et les scrutins se succèdent jusqu’à ce qu’un vainqueur décroche la majorité absolue des délégués. Parallèlement, des tractations ont lieu entre candidats et dirigeants du parti afin de négocier ralliements et désistements, y compris, si le blocage persiste, en faveur d’un candidat n’ayant récolté qu’un faible score lors des primaires, voire … n’y ayant pas participé du tout. Dans ce cas, si c’est à l’un de ces invités-surprises qu’échoit l’investiture, il sera qualifié de « candidat de compromis ».

Comme expliqué dans le paragraphe suivant, les conventions négociées ont été la règle pendant près de cent cinquante ans, avant de devenir l’exception à partir de la seconde moitié du XXe siècle (la dernière fois que des conventions négociées ont eu lieu remonte à 1956, tant chez les démocrates que chez les républicains). La possibilité qu’elles se produisent n’a en revanche pas disparue, et à plusieurs reprises au cours des cinquante dernières années un tel cas de figure a manqué de peu de se produire, l’exemple le plus récent étant celui de la primaire démocrate de 2008 entre Clinton et Obama, ce dernier ne s’assurant la majorité absolue des délégués que lors de la toute dernière journée des primaires.

 

5. Historiques des primaires

 

Le système généralisé des primaires tel que connu aujourd’hui est somme toute assez récent à l’échelle de l’histoire des États-Unis, puisqu’il remonte aux années 1970.

A l’origine, la sélection des candidats à la présidence se faisait via le Caucus du Congrès de chaque parti. En bref : les élus d’un parti au Sénat et à la Chambre des représentants se réunissaient entre eux pour désigner la personnalité chargée de porter leurs couleurs à la présidentielle. Cette procédure fonctionna jusqu’en 1824, lorsque eut lieu l’une des élections les plus controversée de l’histoire du pays, avec pas moins de trois candidatures dissidentes en ce qui concerne le parti démocrate-républicain, lequel dominait alors le paysage politique américain (pour plus de détail sur l’élection de 1824, voir la notice concernant Andrew Jackson).

De ce fiasco électoral va naître la notion de « convention », c.-à-d. un grand rassemblement quadriennal où se retrouve l’ensemble des délégués et officiels du parti afin d’élire leur candidat à la présidentielle. En pratique, ces conventions se révèlent vite des lieux d’intrigues, de foires d’empoigne et de petits arrangements entre amis, chacun s’évertuant à placer ses pions au mieux de ses intérêts et de négocier son soutien en échange de divers avantages et promesses, avec, comme conséquence, de voir parfois de quasi-inconnus (dark horses) être investis. Bref, à moins qu’un candidat incontestable ne se présente (par exemple Lincoln lors de sa réélection en 1864), ces conventions sont le plus souvent « négociées » (brokered) et nécessitent de nombreux tours de scrutin, le « record » étant atteint en 1924 par les démocrates, à qui il faut pas moins de 103 votes pour qu’un candidat décroche enfin les deux tiers des voix requis pour être investi (ce seuil des deux tiers sera ramené à 50% en 1940 sous l’impulsion de Franklin Roosevelt).

Entre-temps, la donne a commencé à changer au début du XXe siècle avec l’instauration de primaires, c.-à-d. la désignation par les électeurs d’un État du candidat qu’ils souhaitent voir investi par le parti. Leur influence va cependant être lente à se concrétiser, d’une part parce que seule une poignée d’États les pratiquent (entre dix et vingt selon les années, les autres États continuant d’élire des délégués qu’ils envoient à la convention nationale libres de choisir le candidat qu’ils désirent), et d’autre part parce que leur résultat n’est pas systématiquement contraignant, les délégués des États où ont lieu les primaires gardant souvent la possibilité de voter à la convention pour le candidat de leur choix. A cela s’ajoute aussi le fait que les candidats ne participent pas nécessairement à toutes les primaires, par manque de temps ou de moyens, ou encore parce que certains parmi les plus influents recourent à la pratique dite du « favorite son » (« le fils favori »), laquelle consiste à passer un accord avec une figure du parti particulièrement populaire dans un État bien précis (le plus souvent un élu local), de manière à ce que celle-ci rafle la primaire qui y est organisé et offre lors de la convention les voix ainsi obtenues au candidat avec lequel il a passé ce marché.

Bref, les défauts ne manquent pas, et leurs conséquences ne tardent pas d’apparaître au grand jour, puisque, dès 1912 (c.-à-d. la première fois que le système des primaires est utilisé de manière conséquente), le candidat républicain ayant gagné le plus de primaires cette année-là (Theodore Roosevelt) voit un autre prétendant lui brûler la politesse lors de la convention du parti.

Bon an, mal an, ce système hybride perdure jusqu’en 1968. Cette année-là, la convention démocrate tourne au chaos : sur fond de violentes manifestations anti-guerre du Vietnam, d’interventions policières musclées et de l’assassinat du candidat Robert Kennedy deux mois avant la convention, le parti offre l’investiture dès le premier tour de scrutin à Hubert Humphrey, un candidat pro-guerre, qui n’a participé à aucune des quatorze primaires organisées cette année-là, et a bâti son succès en recourant aux favorite sons et à la masse des délégués non-liés. Cette fois, impossible pour les démocrates de se voiler la face, le système d’investiture tel qu’il est n’est plus tenable, et une commission (menée par le sénateur George McGovern) est mise sur pied pour le réformer. S’en suivront toute une série de recommandations, lesquelles aboutiront notamment à généraliser le système des primaires à la plupart des États. Ce système est celui qui perdure encore aujourd’hui, y compris dans le chef des républicains, qui ont rapidement emboîté le pas aux démocrates et adopté les grandes lignes de leur procédure.