Rotonde, Whirlpool, Mélenchon, Dupont-Aignan et absence de front républicain ont rythmé une première semaine d’entre-deux-tours plus délicate que prévue pour Emmanuel Macron.

 

Emmanuel Macron 2016C’est en fait dès dimanche soir passé que l’embarcation du grand favori pour l’Elysée s’est mise à (légèrement) tanguer. En cause ? D’abord son discours prononcé après l’annonce des résultats du premier tour au Palais des expositions à la Porte de Versailles, un discours joyeux, voire jubilatoire, qui se projette déjà vers les législatives, comme si le candidat d’En Marche se voyait arrivé et considérait le second tour comme une formalité. Et s’il n’a sans doute pas tort, n’empêche, cette attitude n’est pas passée, nombre de commentateurs et d’adversaires battus lui reprochant de faire preuve de légèreté alors que l’extrême-droite est qualifiée pour le second tour après avoir obtenu un record de voix (ce qui, dans les deux cas, était attendu). Bref, « Macron pense d’abord à lui et pas à la France ni au 76% de Français qui n’ont pas voté pour lui au premier tour » : tel est le genre d’humeur qui commence à se propager.

Le deuxième faux pas arrive quelques heures plus tard. Pour fêter son résultat, Macron a réservé La Rotonde, une brasserie bien connue de Montparnasse, où il retrouve son équipe de campagne. Évidemment, une nuée de caméras l’y a suivi et, bien que celles-ci ne soient pas autorisées à entrer, des images prises depuis l’extérieur n’en commencent pas moins à circuler, ainsi qu’un commentaire en particulier : le leader d’En Marche n’est-il pas en train de commettre un Fouquet’s ? Interrogé à la sortie de la brasserie sur ce sujet, Macron le prend de haut, explique au journaliste qui lui pose la question qu’il n’a « rien compris à la vie » et qu’il « n’a pas de leçon à recevoir du petit milieu parisien », une réponse qui fait aussitôt jaser, et qui le fait encore plus le lendemain lorsqu’est révélé que, parmi les invités, censés être, d’après Macron, les petites mains fidèles de sa campagne qu’il voulait remercier personnellement de l’avoir accompagné de son aventure, figuraient des hommes d’affaires et des personnalités comme Line Renaud, Stéphane Bern, Pierre Arditi ou Jacques Attali, dont l’image n’est pas vraiment celle d’anonymes, mais rappelle plutôt celle du « petit milieu parisien » évoqué précédemment.

 

Mercredi, c’est une autre épreuve difficile qui attend le candidat d’En Marche. Interpellé fin mars lors de L’Émission politique sur France 2 par le cinéaste (et membre de France insoumise) François Rufin au sujet de l’usine Whirlpool d’Amiens en passe d’être délocalisée, Macron avait promis d’y effectuer une visite dans le cadre de sa campagne. Cette promesse, il la remplit ce mercredi 26 avril, avec, pour commencer, une réunion avec des représentants syndicaux de l’entreprise à l’hôtel de ville d’Amiens. Oui, mais … Marine Le Pen lui brûle la politesse : pendant que Macron discute avec les syndicats, la cheffe du Front national s’invite d’elle-même sur le site de l’usine et, pendant une dizaine de minutes, parle avec les ouvriers, pose pour des selfies et promet que le site ne fermera pas. Aussitôt, grand branle-bas de combat médiatique : Marine Le Pen court-circuite Macron et se montre proche du peuple pendant que son rival en apparaît éloigné, préférant dialoguer à l’abri dans une salle tranquille avec des interlocuteurs officiels plutôt que d’affronter la colère du terrain. Du côté de Macron, flottement … Comment va-t-il réagir ? La réponse ne tarde guère : d’abord dénoncer la manœuvre de Le Pen et lui reprocher de ne pas respecter les « règles » (rencontrer les représentants du personnel, puis le personnel) ; ensuite, se rendre à son tour sur le site de Whirlpool.

Cette rencontre était-elle prévue depuis le début ou a-t-elle été ajoutée suite aux événements de la matinée ? En tout cas, lorsqu’il prend la décision finale de se rendre à l’usine (ou de maintenir sa visite, si celle-ci avait effectivement été planifiée, les informations à ce sujet étant contradictoires), Macron agit contre l’avis de collaborateurs qui craignent une ambiance houleuse et électrique. Et de fait, l’accueil est tendu, et les gestes de défiance (sifflets et huées) ne manquent pas. Mais Macron ne se défile pas, il va au contact des ouvriers et parle avec eux au cours d’une rencontre dont sont exclus les journalistes, mais dont les images sont retransmises sur Facebook par l’équipe du candidat et relayées par les chaînes d’info. Au cours de la discussion, Macron reste fidèle à sa ligne de conduite : « pas de promesses en l’air », mais celle de ne pas homologuer un plan de sauvegarde de l’emploi qui ne serait pas à la hauteur. Il ne manque pas non plus de s’en prendre aux propositions de sa rivale et assure que fermer les frontières est une « promesse mensongère ». Enfin, après une quarantaine de minutes également marquées par l’engagement du candidat de revenir pour « rendre compte » des avancées sur le sujet, la rencontre prend fin, dans un climat un peu moins tendu que celui dans lequel elle a commencé.

 

Dans un autre registre, l’après-midi a Whirlpool a aussi mis en évidence un autre aspect entourant la campagne de Macron : la multiplication des fausses informations le concernant. Une illustration anecdotique mais flagrante et symbolique en a été donnée ce mercredi lorsque des ouvriers ont interpellé le candidat en lui déclarant qu’ils avaient les mains propres et qu’il pouvait leur serrer la main. La raison de ces étranges propos (entendus à plusieurs reprises cet après-midi) ? Une information circulant depuis plusieurs mois sur Internet et selon laquelle Macron aurait déclaré : « C’est plus fort que moi, quand je serre la main d’un pauvre, je me sens sale pour toute la journée ». A l’origine lancée en juin 2016 par le site parodique Le Gorafi bien connu pour ne publier que des canulars et des fausses nouvelles, cette information a été reprises avec le plus grand sérieux par des internautes qui, consciemment ou non, l’ont présentée comme véridique. L’engrenage était lancé et le ragot s’est répandu sur les réseaux sociaux, sans prendre une ampleur démesurée, mais assez que pour y avoir un petit effet, d’autant que d’autres mystifications (tel un montage vidéo montrant Macron s’essuyer les mains avec une lingette après avoir salué des ouvriers alors qu’il le faisait suite à la prise d’une anguille donnée par un pêcheur) ont contribué à l’entretenir.

Plus tard dans la semaine, c’est une autre rumeur infondée qui circule, la suppression des allocations familiales que prônerait Macron. A nouveau, l’information est bidon mais n’en connaît pas moins une petite diffusion, illustrant ainsi la lutte d’influence qui se joue sur Internet pour affaiblir le candidat.

 

Jean-Luc MélenchonLa fin de semaine de Macron est marquée par l’exacerbation de la question du soutien des candidats battus au premier tour. En point de mire : Jean-Luc Mélenchon. Sa déclaration dimanche soir passé au cours de laquelle il n’a appelé explicitement à voter Macron pour faire barrage à Marine Le Pen lui vaut une volée de bois vert de tous les côtés. Après diverses montées au créneau de la part de lieutenants, le leader de La France insoumise intervient personnellement sur sa chaîne YouTube vendredi 28 pour (tenter de) clarifier sa position. Affirmant d’abord qu’il ne saurait y avoir de doute quant à sa position envers le Front national ni sur celle de la très grande majorité des Insoumis, il déclare qu’il se rendra aux urnes dimanche prochain mais refuse de dire pour qui il votera, tout comme il se refuse à donner une consigne de vote à ses électeurs. Pourquoi ? D’abord parce qu’il reproche à Macron d’avoir commis une erreur plus tôt dans la semaine en présentant le vote du second tour comme un vote d’adhésion plutôt qu’un vote combinant adhésion et antifascisme, et ensuite pour ne pas désunir ses électeurs et leur permettre de demeurer « groupés ». Bref Mélenchon reste – bien qu’il s’en défende – sur une position tortueuse, que ses adversaires de tout poil traduise aussitôt en un « ni-ni » qu’ils ne manquent pas de dénoncer avec vigueur. Parmi les flingueurs : Macron, qui qualifie son attitude de « faute lourde ». Réplique de l’intéressé : « M’insulter n’est pas la meilleure manière de récupérer mes électeurs ».

 

Ailleurs sur l’échiquier politique, les appels à soutenir Macron sont plus nets (PS, Hollande, Sarkozy) mais pas unanimes : le mouvement de droite Sens commun qui a soutenu à bout de bras la campagne de François Fillon (lequel a appelé dès dimanche passé à voter Macron) refuse de prendre position, et aucune mobilisation ni manifestation de grande ampleur comme il y en avait eu en 2002 n’a lieu. Bref, le front républicain a un gros coup de mou dans l’aile, et il se fend carrément vendredi lorsque Marine Le Pen annonce le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à sa candidature. Aussitôt, la nouvelle fait l’effet d’une petite déflagration, pas tant en raison de sa portée électorale, plutôt faible (NDA n’a récolté que 4,7% au premier tour, un bon score pour lui, mais rien de faramineux dans l’absolu, et une partie de ses électeurs l’a rejoint suite aux scandales Fillon est peu susceptible de le suivre au FN), mais en raison de son importance symbolique : pour la première fois, un parti rompt le cordon sanitaire et forme une alliance avec le Front national.

Nicolas Dupont-Aignan en 2011Pourquoi ce choix de Dupont-Aignan ? D’une part, une proximité idéologique sur la question de la souveraineté nationale ; et d’autre part l’aspect financier. Avec moins de 5% au premier tour, Dupont-Aignan n’était pas remboursé de ses frais de campagne, et les coulisses bruissent de rumeurs affirmant que l’accord conclu entre le FN et Debout la France prévoit des dispositions favorables au parti de Dupont-Aignan pour les législatives afin de lui assurer un score permettant de bénéficier largement de la manne publique. Si ce ralliement (un terme que récuse l’intéressé, qui affirme que son mouvement restera indépendant) apporte sans doute une bouffée d’oxygène aux finances de DLF, le coût politique n’en est pas moins élevé pour Dupont-Aignan, aussitôt vilipendé par la grande majorité de la classe politique, et dont le parti subit la défection immédiate de son vice-président Dominique Jamet. Le futur de NDA s’annonce donc compliqué, et l’annonce samedi par Marine Le Pen qu’il serait son Premier ministre en cas de victoire n’y changera pas grand-chose, tant la probabilité qu’une telle hypothèse se réalise paraît ténue.

Pour Marine Le Pen aussi, cet accord pourrait bien être à double-tranchant. Certes, comme expliqué précédemment, le gain symbolique de cette alliance est réel et pourrait constituer une étape importante dans l’existence du FN. D’un autre côté, cette alliance a également contraint la candidate à un compromis programmatique, notamment sur la question de l’euro, où la position qu’elle défend désormais est tout sauf claire. Ainsi l’accord de gouvernement prévu avec Nicolas Dupont-Aignan prévoit-il :

« un patriotisme pragmatique, qui privilégie les décisions de bon sens. Ainsi, la transition de la monnaie unique à la monnaie commune européenne n’est pas un préalable à toute politique économique, le calendrier sera adapté aux priorités et défis immédiats que le gouvernement de la France devra relever. Tout sera fait pour organiser sereinement la transition de la monnaie unique vers une monnaie commune et la mise en œuvre concertée du droit pour chaque pays de gérer sa monnaie et sa banque centrale. »

Marine Le PenQuelle signification donner à cette phrase ? Le Pen abandonne-t-elle l’idée de sortir de l’euro et de revenir au franc ? Dans une interview au Parisien le dimanche 30 avril, elle déclare ne jamais avoir dit que la France sortira de la zone euro et qu’elle veut le « transformer en une monnaie commune qui ne concernera pas les achats quotidiens mais uniquement les grandes entreprises qui font du commerce international », ajoutant ensuite « nous aurons une monnaie nationale comme tous les autres pays et nous aurons ensemble une monnaie commune. Voilà, c’est aussi simple que ça. » Ces déclarations déclenchent un scepticisme général, et la confusion s’accroît lorsque sa nièce Marion Maréchal-Le Pen évoque 2018 pour débuter les négociations avec l’UE alors que le programme de sa tante évoquait un référendum dans les six mois suivant son élection …

Le FN sait-il encore où il va au sujet de l’euro ? Le fait est que ce thème provoque de profondes tensions en interne, entre ceux qui ont fait de sa sortie un marqueur fort (Florian Philippot), et ceux pour qui elle constitue un repoussoir qui empêche Marine Le Pen de progresser dans l’électorat (au rang desquels Marion Maréchal-Le Pen). L’alliance avec Dupont-Aignan (largement pro-sortie en 2012 mais qui a revu son point de vue depuis) renforce les seconds, mais donne aussi l’impression que le message du FN en la matière est devenu complètement inintelligible, que sa dirigeante elle-même ne sait plus trop ce qu’il en est, et que le rétropédalage qu’elle est en train d’opérer se fait de manière complètement confuse et improvisée.

 

Autres faits concernant Marine Le Pen et le FN cette semaine :

  • la polémique Jean-François Jalkh. Rétroactes : après le premier tour, Marine Le Pen annonce qu’elle se met en retrait de la présidence du FN et Jean-François Jalkh (député européen) en est nommé président par intérim mardi. Dans les heures qui suivent refait surface une interview de 2000 dans laquelle il tient des propos négationnistes sur les chambres à gaz. Dès cette révélation connue, le tollé est général et, vendredi, Jalkh renonce à son nouveau poste, qu’il laisse au maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois.
  • une polémique avec la presse. Les envoyés de plusieurs journaux ou émissions politiques (notamment Mediapart, Le Monde, Libération, le programme télé Quotidien) s’étant vu interdire l’accès à des événements menés par Marine Le Pen, 36 sociétés de journalistes se sont réunies pour rédiger un communiqué dans lequel elles protestent contre la décision du FN de « choisir les médias autorisés » à suivre la candidate. De son côté, Le Pen se plaint des médias qui jouent tous la carte Macron.
  • une vidéo sur Twitter vendredi (avant que Mélenchon ne s’exprime) dans laquelle la candidate FN appelle les électeurs de Mélenchon à mettre de côté querelles et divergences pour ne pas « laisser les manettes de la France à Emmanuel Macron ».

 

Au bout du compte, quel bilan tirer de la semaine ? Pour Macron, elle est mitigée et il donne l’impression de mal gérer son entre-deux-tours, sans pour autant que sa victoire ne paraisse vraiment remise en question (les sondages le donnent aux alentours de 60% contre 40% à son adversaire, c.-à-d. une marge très confortable). De son côté, Le Pen a réussi quelques bons coups (Whirlpool, Dupont-Aignan), mais son positionnement sur l’euro devient de plus en plus problématique et la probabilité de la voir gagner demeure marginale.

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